1956, Premier Colloque des Ecrivains et Artistes Noirs


Les Participants du colloque de 1956

Du 19 au 22 septembre 1956 s'est tenu le premier congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne organisé par Alioune Diop.

On pouvait y voir Amadou Hampathé Bâ (Mali), Léopold Sedar Senghor et Cheikh Anta Diop (Sénégal), Aimé Cesaire et Frantz Fanon (Martinique), Marcus James (Jamaïque), Richard Wright (Amérique), Jean Price Mars (Haïti), Jacques Rabemananjara (Madagascar), Paul Hazoumé (Dahomey), etc... Les meilleurs éléments du  monde intellectuel noir sont présents lors de ce congrès.

Extrait du discours introductif, d'Alioune Diop:

"Ce jour sera marqué d'une pierre blanche. Si depuis la fin de la guerre la rencontre de Bandoeng constitue pour les consciences non européennes l'événement le plus important, je crois pouvoir affirmer que ce premier congrès mondial des hommes de culture noirs représentera pour nos peuples le second événement de cette décade.

"Noirs des Etats Unis, des Antilles et du continent africain, quelle que soit la distance qui sépare parfois nos univers spirituels, nous avons ceci d'incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres "

D'autres congrès avaient eu lieu, au lendemain de l'entre-deux guerre, ils n'avaient l'originalité ni d'être essentiellement culturels, ni de bénéficier du concours remarquable d'un si grand nombre de talents parvenus à maturité, non seulement aux États-Unis, aux Antilles et dans la grande et fière République d'Haïti, mais encore dans les pays d'Afrique noire.

Alioune Diop

Les dix dernières années, de l'histoire ont été marquées par des changements décisifs pour le destin des peuples non européens, et notamment de ces peuples noirs que l'Histoire semble avoir voulu traiter de façon cavalière, je dirais même résolument disqualifier, si cette histoire, avec un grand H, n'était pas l'interprétation unilatérale de la vie du monde par l'Occident seul.

Il demeure cependant que nos souffrances n'ont rien d'imaginaire. Pendant des siècles, l'événement dominant de notre histoire a été la terrible traite des esclaves. C'est le premier lien entre nous, congressistes qui justifie notre réunion ici. Noirs des États-Unis, des Antilles et du continent africain, quelle que soit la distance qui sépare parfois nos univers spirituels nous avons ceci d'incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres.
« La couleur de la peau n'est qu'un accident ; cette couleur n'en est pas moins responsable d'événements et d'oeuvres, d'institutions, de lois éthiques qui ont marqué de façon indélébile l'histoire de nos rapports avec l'homme blanc."[']

"Il vous sera donné, au cours des prochaines séances, d'entendre souligner les responsabilités de la culture occidentale dans la colonisation et le racisme. Reconnaissons que nous ne sommes pas les seules victimes du racisme. Les juifs, au cours de cette guerre, ont connu des souffrances organisées et portées à un niveau jamais imaginé auparavant. C'est avec émotion que nous nous inclinons ici devant la mémoire de toutes les victimes du racisme hitlérien. Mais il n'est pas interdit de remarquer que l'antisémitisme n'a ni les mêmes origines ni les mêmes caractères que le racisme anti-nègre. Les juifs ne passent pas communément pour des barbares indésirables dans le circuit de la vie internationale, ou simplement dans le contexte d'une vie moderne où Blancs et Noirs vivraient en paix, sans référence à la couleur de la peau. On connaît nombre de juifs dans les domaines scientifique, philosophique, politique ou littéraire dont la personnalité a pu s'imposer à la considération générale des peuples. Combien connaît-on d'ambassadeurs, de savants, d'hommes d'Etat ou d'artistes noirs qui, à la veille de cette guerre, aient pu se faire apprécier selon le seul critère de leur compétence ou de leur talent' "

 Mais ce colloque n'obtient pas l'unanimité auprès de la communauté noire loin de là; selon Manthia Diawara (actuel directeur du Département des Etudes africaines et de l'Institut des Affaires africaines afro-américaines à l'Université de New York) "il était malheureux de mettre l'accent sur la négritude comme critère d'admission car on ne pouvait pas faire la part de la solidarité raciale ou du racisme". D'autres pensaient qu'une culture commune ne pouvait découler de ce rassemblement même si tous  les participants de ce congrès avaient en commun d'être la victime du blanc.

L'absence de WEB du Bois, non autorisé à quitter les Etats Unis jette le discrédit sur la délégation Américaine présente ce jour, en effet, la CIA et le KGB avaient mis en place une surveillance en  introduisant dans le colloque des agents. Richard Wright dont la présence fut contesté et suspect dira: "We had a message today that hurts me and I think my role in this conference will negate the implication of that message: that the Americans participating here were people who could not speak their minds freely. When my role finished in this conference, I would appreciate it if you would tell me what governments paid me."

William Edward Burghardt Du Bois

On pu apprécier tout au long des intervenants les divers points de vues qui certe opposés mais mis en commun pouvait permettre à l'homme noir de se reconstruire dans une unité culturelle. Si, pour Senghor, la tradition et les ancêtres devaient avoir une place prédominante dans le reconstruction de l'Afrique pour d'autres comme Richard Wright  il n'en est pas de même selon lui:"les croyances chrétiennes et les traditions indigènes se disputent l'allégeance des africains et bloquent leurs entrées dans le monde profane et industrialisé". et il poursuit: "j'ai le sentiment, inconfortable, frisant presque la terreur, que l'Europe chrétienne, blanche et militante et la religion du culte des ancêtres en Afrique se sont historiquement et inéluctablement complétés. Ils se sont complétés l'une l'autre et cette relation, mauvaise au plan moral, a perduré pendant plus de 500 ans".

Leopold sedar Senghor

 Et pour finir en ces termes:"le colonialisme était porteur de la promesse des lumières, il avait permis de développer la science et l'industrie en Afrique, nié les notions passées de structure sociale, nié les normes de la noblesse, de la tradition (...) et fait éclore de nouvelles classes classes sociales, de nouvelles structures de gouvernement..."  

Ainsi que pour Stephen Alexis :" Nous avons entendu, cet après-midi, toute une série de communications qui, à mon avis, sont du plus haut intérêt quant à l'inventaire culturel, quant au contenu des différentes cultures qui forment ce que l'on est convenu d'appeler " le monde noir"." Mais d'autre part, il m'a semblé que les questions fondamentales de la culture elle-même, n'étaient que fort peu envisagées. Nous autres, Haïtiens, nous avons durement expérimenté ce confusionnisme existant chez nous et dans le monde sur les problèmes de la "culture". Il nous semble que l'on a voulu, justement, que la "culture" reste une donnée vague, une donnée floue, une donnée imprécise, dont on se sert sans bien en préciser le contenu et les caractères."

Stephen Alexis

Aimé Césaire intervient :" Je ne vois pas très bien ce qui sépare la position de M Alexis et celle de M Senghor (...)"Je crois qu'il y a confusion, et qu'en fait, il existe des cultures nationales : une culture du Sénégal, une culture ouolof (disons ainsi pour abréger) enfin plusieurs cultures africaines. Mais il n'empêche que toutes ces cultures présentent entre elles des affinités. C'est absolument incontestable. "

Aimé Césaire

Jacques Rabemananjara dans son discours intitulé "L'europe et nous" :"Beaucoup d'entre vous, rappelle l'ancien député de Madagascar, arrêté et emprisonné lors de la révolte malgache qui vit le massacre de cent mille victimes par l'armée coloniale française, ont pu suivre ces dernières années, l'histoire douloureuse de mon pays. Ceux-la comprennent, l'intensité de mon émotion(...)"

jacques Rabemananjara

Paul Hazoumé allant dans le sens de Senghor :" Le Dahoméen ['] a le sens inné de la spiritualité, c'est-à-dire une grande foi en ses divinités et en ses ancêtres dont il est persuadé que son bonheur dépend en ce monde."Le sens du spirituel et du sacré dont est pétrie l'âme africaine en général, dahoméenne en particulier, est tel que c'est tout naturellement, comme il respire, que l'Africain pratique sa religion qui fait partie intégrante, intime même, de sa vie journalière, de sa vie à tout instant à tel point que la question du respect humain ne se pose jamais pour lui quand il s'agit d'extérioriser ses convictions religieuses, de manifester son indignation, sa révolte contre tout sacrilège."Aussi un Européen vivant dans nos populations fait-il scandale quand il affiche son incroyance, raille les divinités africaines et le culte qui leur est voué dans le peuple, clame irrévérencieusement que l'animisme est un tissu de grossières superstitions et que les doctrines en sont des sornettes dignes seulement de cerveaux enfantins."

Cheikh Anta Diop demande quand le débat s'éloigne un peu de ses prérogatives:"J'aimerais savoir s'il s'agit de faire le bilan de ce qui a été fait dans le domaine culturel, et de ce qui reste à faire. ['] S'il s'agit de faire le bilan de ce qui a été fait jusqu'ici sur le terrain culturel, nous pourrions envisager cette question-là d'une façon positive et très rapide. Si c'est ce qu'on entend par "l'inventaire culturel", je pense que nous devons orienter la suite des débats en ce sens. "

Cheikh Anta Diop

Pour Frantz Fanon (Peaux noires et masques blancs) qui passa 3 années en Algérie: "La réflexion sur la valeur normative de certaines cultures décrétées unilatéralement mérite l'attention. L'un des paradoxes rapidement rencontré est le choc en retour de définitions égocentristes, sociocentristes.Est affirmée d'abord, l'existence de groupes humains sans culture, puis de cultures hiérarchisées enfin la notion de relativité culturelle.De la négation globale à la reconnaissance singulière et spécifique. C'est précisément cette histoire morcelée et sanglante qu'il nous faut esquisser au niveau de l'anthropologie culturelle (...)Oppression systématisée d'un peuple par l'expropriation, la razzia, le dépouillement".

Frantz Fanon

Puis Cheikh Anta Diop intervient avec: « Apports et perspectives culturels de l'Afrique »

" Je dois vous parler ce soir de l'apport de l'Afrique Noire à la civilisation d'une part, et d'autre part, des perspectives culturelles de l'Afrique et en troisième lieu de la spécificité de la culture africaine. Vous voyez donc que le rapport qui m'a été confié est d'ordre technique extrêmement complexe, qu'il était presque impossible de rédiger entièrement.

Une idée importante a été exprimée par le camarade Césaire et reprise tout à l'heure par le conférencier qui m'a précédé ; c'est l'idée du peuple démiurge ; il est évident que le peuple crée le fond de la tradition, mais c'est l'élite qui en tire partie pour élaborer des formes culturelles supérieures."A partir d'une telle connaissance de notre passé, il devient possible d'établir la contribution africaine du monde par une simple méthode comparative, en partant des traits fondamentaux de la culture africaine et en tenant compte de la chronologie.

En se livrant à ces recherches, on a été amené à découvrir, d'une façon certaine, que l'ancienne civilisation égyptienne pharaonique, était nègre. A ce point de vue des arguments d'ordre anthropologique, ethnologique, linguistique, historique, culturel ont été fournis. Pour juger de leur valeur, il suffit de se reporter à l'ouvrage Nations nègres et culture qui a été publié par Présence Africaine. "

En redécouvrant ainsi notre passé, on contribue à recréer la conscience historique sans laquelle il n'y a pas de grandes nations "Cette notion [de culture] est liée dans mon esprit, à l'émergence d'un Etat multinational embrassant la quasi-totalité du continent."

La culture sera donc essentiellement au service de la lutte de libération nationale. Lorsque nous aurons créé, comme on vient de le dire, un etat souverain continental et multinational, il faudra, quoi qu'on dise, le doter d'une superstructure idéologique et culturelle qui sera un de ses remparts essentiels de sécurité."Mais le vrai support de la culture, c'est la langue."(')il sera possible de choisir une langue africaine qui deviendra, une langue gouvernementale."

"Je veux terminer en soulignant une dernière perspective capitale. Pendant que l'Afrique noire s'oriente vers un Etat multinational qui embrassera la quasi-totalité du continent ayant un équipement industriel de premier ordre, les Antilles pourraient s'orienter vers la formation d'une fédération insulaire sur le type de l'Indonésie et qui, au lieu de regarder vers l'Amérique ou vers l'Europe, entretiendrait des relations de fraternité, de parenté, des relations économiques, commerciales, culturelles et politiques avec l'Afrique Noire."

"Une nécessité impérieuse de procéder à une redécouverte de la vérité historique et à une revalorisation des cultures noires" sera la conclusion finale de ce colloque. Les accents seront sur la nécessité impérieuse de se libérer tant sur le plan politique que culturel.

 

Sources: Les Actes du Premier Congrès International de Ecrivains et Artistes Noirs, revue Présence Africaine (n° VIII-IX-X, juin'novembre 1956)


shenoc le 23/11/2007

 

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