Marcel Manville

 

 

 Extraits du dernier dicours de Marcel Manville(1922-1998), avocat et militant martiniquais, en 1998 à Lisbonne.

 

"On a passé au second plan que pendant plus de trois siècles et demi, l’histoire des Antilles est jalonnée par le martyr d’esclaves révoltés, individuellement ou collectivement, révoltes souvent inconnues.

D’une part, il y eu de nombreux "maronnages", c’est-à-dire des esclaves qui fuyaient leurs maîtres pour se réfugier dans les montagnes et dans les bois. D’autre part et surtout, même si c’est moins connu, il y eu des insurrections fréquentes, répétées.

Ces différentes révoltes furent pour la plupart réprimées par la force et par l’application du Code Noir de Colbert, code dont les sanctions pénales glacent encore le sang de ses lecteurs d’aujourd’hui.

Ne manquons pas de mentionner les massacres commis par les armées françaises chargées de rétablir l’esclavage en Haïti insurgé.

Qu’on nous permette de rappeler également les sacrifices de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants réduits à l’état de bêtes ou de meubles, mais qui hurlaient du fond de leur servitude leur humanité d’êtres de chair et de sang.

Et puis, il ne faut pas oublier que cette oeuvre méritoire des humanistes français (l’abolition ndlr) n’a pas aboli simultanément le racisme qui a continué sous d’autres formes, notamment en étant l’aliment de la razzia coloniale.

(...) Ce fait brutal de chiffres et de sang (l’esclavage ndlr) s’inscrit dans une démarche culturelle du monde blanc, une démarche au terme de laquelle l’éviction, le banissement des nègres de la famille humaine est pensé, théorisé.

Le racisme a été tout au long du génocide africain l’argument de ce drame. C’est aussi le racisme qui sous-tend le long silence du monde blanc vis-à-vis de ce génocide qui succède immédiatement à l’abolition. Mais il reste que le fondement idéologique des deux crimes est semblable.

Césaire avait donc raison de faire dans son "discours sur le colonialisme" en 1955 cette flamboyante corélation qui choqua d’aucun, entre racisme, esclavagisme et colonialisme d’une part, et nazisme d’autre part. Je le cite :

"Chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend.

Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, rafinent, discutent autour des chevalets. On s’etonne, on s’indigne, on dit "comme c’est curieux ! mais bah ! c’est le nazisme, ça passera ", et on attend.., et on espère...

Oui, il vaut la peine d’étudier cliniquement dans le détail les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme, et de révéler au très distingué, au très humaniste, très chrétien bourgeois du 19ème siècle, qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qh’Hitler est son démon. Que si il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’Homme, ce n’est pas l’humiliation de l’Homme en soi, mais c’est le crime contre l’Homme Blanc, c’est l’humiliation de l’Homme Blanc, et d’avoir appliqué en Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les Coolies de l’Inde, et les Nègres d’Afrique."

 

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shenoc le 13/12/2006

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