JEAN-FRANCOIS
CHAMPOLLION 1790-1832 |
Le 12 mars 1831 une
ordonnance royale crée cette chaire nouvelle au Collège royal de France, et y
nomme Champollion le jeune.
"M. Champollion exposera les principes de
Le 10 mai 1831, Champollion
le jeune introduisit son cours sur
"Si François Ier, en jetant
les fondements de son Collège des trois langues, s'était
proposé d'indemniser
Toutes les sciences ont trouvé dans le
collège de François 1er un asile honorable, et la liste de celles qui,
jusqu'ici, y furent appelées, formerait une sorte de résumé encyclopédique
des créations de l'intelligence humaine ; on pourrait ajouter, et un résumé
de ses variations et de ses progrès, car les quatre chaires primitives
de 1530 s'élèvent aujourd'hui à vingt-quatre, et trois seulement des
créations fondamentales survivent intactes à leurs trois siècles d'existence.
Rendons grâce, Messieurs, à cette
heureuse instabilité des choses humaines de cet ordre ; le pouvoir de
l'intelligence comme sa dignité s'y révèlent, à la fois, et par des progrès,
et surtout par de légitimes exigences ; heureux les princes qui les ont
devinées et satisfaites
Guillaume Budé avertissait le fondateur
du Collège de France, que l'étude des langues, semblable à une pauvre
fille sans dot, était l'objet d'un dédain qu'elle n'avait pas mérité ;
il réclamait en sa faveur quelques marques de la protection royale :
honorée aujourd'hui à l'égal de toutes les sciences utiles, cette étude a
porté ses fruits. Elle donne à notre littérature nationale une intelligence
plus intime de ses anciens modèles, et lui en découvre chaque jour de
nouveaux ; on lui doit encore de puissants moyens d'épreuve sur la véracité
de l'histoire, et les fondements de la critique, science qui soumet à son
examen les écrits et les monuments des peuples.
L'Europe savante l'a reconnu, c'est
Mais ce n'est point de notre temps
seulement que l'Égypte est devenue un objet de recherches pour l'érudition
moderne.
A l'époque de
L'histoire, dont le but marqué, le seul
digne d'elle, est de présenter un tableau véridique des associations humaines
qui marchèrent avant nous dans la carrière de la civilisation, embrasse une
telle immensité de faits d'un ordre si différent et d'une nature si variée,
qu'elle emprunte forcément le secours de tous les genres d'études, de celles
même qui forment, en apparence du moins, des sciences tout à fait distinctes.
A leur tête se place la philologie prise
dans un sens général, la philologie qui, procédant d'abord matériellement,
fixe la valeur des mots et des caractères qui les représentent, et étudie le
mécanisme des langues antiques.
Bientôt, s'élevant dans sa marche, cette
science constate les rapports ou les différences du langage d'un peuple avec
les idiomes de ses voisins, compare les mots, reconnaît les principes qui
président à leurs combinaisons dans chaque famille de langues ou dans chaque
langue en particulier, et nous conduisant ainsi à l'intelligence complète des
monuments écrits des vieilles nations, nous initie dans le secret de
leurs idées sociales, de leurs opinions religieuses ou philosophiques ;
constate, énumère les événements survenus pendant leur existence politique,
les retrouve, pour ainsi dire, avec la couleur locale et la nuance du moment,
puisque ce sont en effet les anciens hommes qui nous parlent alors d'eux-mêmes,
directement et sans intermédiaires, au moyen des signes tracés jadis par
leurs propres mains.
Une seconde science, placée par la
nature même de son objet dans des rapports intimes avec la philologie, ou
qui, pour mieux dire, en est inséparable, l'archéologie, assure à
l'histoire ses fondements les plus certains, en recueillant pour elle les
témoignages les plus authentiques de la réalité des événements passés, les
témoignages des monuments originaux, produits des arts, retracent les faits
contemporains dont ils furent jadis des signes publics, des commémorations
consacrées, et qui en restent pour nous des témoins irrécusables.
C'est principalement au domaine de ces
deux sciences réunies, l'archéologie et la philologie, indispensables
auxiliaires de l'histoire, qu'appartiennent, par leur propre essence, si
l'on peut s'exprimer ainsi, les monuments de la vieille Égypte, objet
principal du cours qui s'ouvre aujourd'hui.
Les innombrables produits des arts
égyptiens, arrivés jusqu'à nous à travers les injures du temps et malgré les
ravages de la barbarie musulmane ou de l'ignorance des premiers chrétiens,
sont tous, en effet, à très peu d'exceptions près, accompagnés d'inscriptions
plus ou moins étendues, relatives à leur destination, et précisant, soit le
motif, soit l'époque de leur exécution. Cette circonstance, heureuse sous
tant de rapports, divise donc naturellement les études archéologiques
égyptiennes en deux branches distinctes ; d'abord, les études philologiques,
ayant pour objet la langue, les divers systèmes d'écriture usités dans
l'antique Égypte, enfin l'interprétation raisonnée et surtout raisonnable des
inscriptions monumentales ; en second lieu, les études archéologiques proprement
dites, embrassant toute la série des monuments figurés, sous le double
rapport de l'art et de leur destination pour les usages civils ou religieux,
militaires ou domestiques.
La science archéologique a suivi, depuis
sa naissance en Europe, une marche toute naturelle, en remontant
progressivement dans ses recherches la chaîne chronologique des peuples qui
se sont succédé dans la carrière sociale. L'attention des antiquaires se
concentra d'abord sur les monuments des Romains, monuments épars sur notre
sol, les plus voisins de nous, et servant tour à tour de confirmations positives
ou d'utiles éclaircissements aux textes des auteurs classiques latins,
premier objet des études philologiques en Occident.
En constatant la liaison des faits pour
remonter à l'origine des procédés et du principe des arts romains, on arriva
par des transitions insensibles à la recherche et à l'étude des monuments de
l'ancienne Grèce, d'où étaient venus les sciences et les arts, qui,
adoucissant l'âpreté des mœurs latines, assurèrent au nom romain, sur les
nations de l'ancienne Europe, cette longue suprématie que n'eussent pu
perpétuer les vertus guerrières et le seul emploi de la force physique.
Dès ce moment, l'archéologie reconnut
que Rome avait reçu par transmission immédiate les arts de
Ainsi, remontant le cours des âges, la
science archéologique, parvenue à la source originelle des arts et de la
civilisation des Romains, concentra ses moyens et ses efforts sut l'étude des
monuments de l'antique Grèce, contrée fameuse, considérée, en général
et par l'effet inévitable de l'instruction première donnée aux générations
qui se succèdent en Europe depuis plusieurs siècles, comme le berceau
primitif de notre civilisation, comme la véritable terre natale des sciences
et des arts.
Mais cette opinion s'affaiblit et se
modifie singulièrement par un examen consciencieux des traditions et des
monuments helléniques : une étude sérieuse, dégagée du préjugé vulgaire qui,
malgré l'évidence des faits et le témoignage positif des anciens Grecs
eux-mêmes, tendrait à faire admettre le système de la génération spontanée
des arts, des sciences et de toutes les institutions sociales sur le sol de
l'ancienne Grèce, nous démontre que, comme partout ailleurs peut-être, ce
pays, habité d'abord par quelques hordes barbares, fut successivement occupé
aussi par des populations étrangères dont l'arrivée opéra de grands
changements et d'importantes modifications dans la langue comme dans la
religion, les pratiques des arts et les habitudes de la vie civile.
La population véritablement hellénique
est descendue du Nord, et la civilisation lui vint ensuite du Midi, importée
par des étrangers que des circonstances politiques expulsaient des contrées
orientales de l'ancien monde. C'est là le résumé des documents historiques
transmis par les Grecs eux-mêmes sur leurs temps primitifs : C'est
donc dans l'Orient qu'il faut chercher les origines helléniques ; et
l'archéologie, pénétrée de cette vérité, proclame d'abord la sublime
perfection et l'incomparable supériorité des arts de
On voit ainsi s'étendre nécessairement
le domaine de l'archéologie ; cette science, par suite de longs travaux, est
parvenue au point où un dernier effort complétant la connaissance des faits
embrassés par ses limites, elle pourra déduire avec sûreté toutes les
conséquences de ces mêmes faits bien présentés, et fonder enfin un corps de
doctrine sur l'origine ou la transmission des idées sociales et les
variations du principe des arts, signes permanents et si expressifs de
l'avancement ou de la décadence des peuples.
Les historiens affirment que les
introducteurs des premières formes de civilisation, un peu avancées, parmi
les peuplades helléniques de l'Argolide et de l'Attique, furent des hommes
venus par mer des rivages de l'Égypte ; que, dès ce moment, l'Égypte devint
une école où allèrent s instruire les législateurs de
L'archéologie s'est depuis longtemps
pénétrée de l'importance de tels résultats ; mais deux causes principales
retardèrent indéfiniment les progrès des études égyptiennes : la rareté des
monuments originaux, et l'ignorance complète de la langue des anciens
Egyptiens.
Dès le XVIIIe siècle quelques cabinets
renfermaient déjà un certain nombre d'objets d'art égyptiens de différents
genres, envoyés en Europe par des agents consulaires, comme de simples objets
de curiosité. La plupart de ces monuments provenaient de fouilles exécutées
sur l'emplacement de Memphis ; c'étaient des amulettes, un petit nombre de
bronzes, beaucoup de petites figurines en terre émaillée, images funéraires sorties
en abondance des hypogées de Sakkarah ; enfin quelques momies communes et
fort peu remarquables sous le rapport de la décoration ou de la richesse des
peintures. Plus tard on posséda des lambeaux de manuscrits égyptiens sur
toile, des bandelettes couvertes de caractères sacrés, et des cercueils de
momie en pierre dure, chargés de longues inscriptions hiéroglyphiques.
Ces divers objets appelèrent enfin
l'attention des savants sur le système d'écriture des anciens Egyptiens. Les
rares documents épars dans les auteurs grecs et latins, relatifs à la nature
des signes graphiques employés par cette nation, excitaient encore plus la
curiosité. On commença dès cette, époque à rechercher les monuments figurés
de l'Egypte ; on étudia les obélisques de Rome, récemment exhumés ou
relevés par la munificence des pontifes, et l'archéologie s'enrichit ainsi
d'une nouvelle branche, qui, toutefois, demeura longtemps stérile par la
fausse direction que les érudits imprimèrent à leurs recherches.
Une critique rigoureusement épurée ne
présidait point encore à l'étude des textes classiques sous le double
rapport de l'histoire et de l'archéologie. On ne saisit point alors les
importantes distinctions formellement établies par les auteurs anciens entre
les différents systèmes d'écritures usités chez les Egyptiens. On généralisa
trop ce que ces auteurs n'avaient affirmé que d'une certaine classe de signes
seulement ; et dès lors les études égyptiennes dévièrent de plus en plus du
but véritable, car, partant de faux aperçus, on mettait en fait que
l'écriture égyptienne, dite hiéroglyphique, ne représentait nullement le
son des mots de la langue parlée ; que tout caractère hiéroglyphique
était le signe particulier dune idée distincte ; enfin, que cette
écriture ne procédait à la représentation des idées que par des symboles et
des emblèmes.
De tels principes, auxquels des érudits
de nos jours n'ont point encore renoncé, ouvraient à l'imagination un champ
bien vaste, ou plutôt une carrière sans limites. le jésuite Kircher s'y jeta,
et, ne gardant aucune réserve, abusa de la bonne foi de ses contemporains, en
publiant, sous le titre d'Oedipus Aegyptiacus, de prétendues
traductions des légendes hiéroglyphiques sculptées sur les obélisques de
Rome, traductions auxquelles il ne croyait point lui-même, car souvent il osa
les étayer sur des citations d'auteurs qui n'existèrent jamais. Du reste, ni
l'archéologie, ni l'histoire ne pouvait recueillir aucun fruit des travaux de
Kircher. Qu'attendre, en effet, d'un homme affichant la prétention de
déchiffrer les textes hiéroglyphiques a priori, sans aucune espèce de
méthode ni de preuves ! d'un interprète qui présentait comme la teneur fidèle
d'inscriptions égyptiennes, des phrases incohérentes remplies du mysticisme à
la fois le plus obscur et le plus ridicule !
Les rêveries de Kircher contribuèrent aussi à répandre dans le
monde savant ce singulier préjugé, subsistant aujourd'hui même dans quelques
esprits, d'après lequel les inscriptions hiéroglyphiques sculptées sur tous
les monuments, sans exception, étaient jadis comprises par ceux là seuls
d'entre les Egyptiens que leurs lumières avaient appelés aux grades avancés
de l'initiation religieuse. On croyait alors que tous ces textes antiques
roulaient uniquement sur des sujets cachés et mystérieux ; qu'ils étaient un
objet d'étude réservé à une petite caste privilégiée, et qu'ils renfermaient
uniquement les doctrines occultes de la philosophie égyptienne. Cette idée
fausse parut en quelque sorte confirmée par l'opinion, tout aussi hasardée,
qui attribuait alors à la masse entière des signes composant l'écriture
sacrée des Egyptiens, une nature purement idéographique. On en était
venu à considérer toute inscription égyptienne comme une série de symboles et
d'emblèmes, sous lesquels se cachaient obscurément de profonds mystères, en
un mot, comme la doctrine sacerdotale la plus secrète expliquée par des
énigmes.
Partant de pareilles hypothèses, les
études égyptiennes ne pouvaient compter sur aucun progrès réel, puisque,
d'autre part, on voulait parvenir à l'intelligence des inscriptions
hiéroglyphiques en négligeant précisément le seul moyen efficace auquel pût
se rattacher quelque espoir de succès : la connaissance préalable de la
langue parlée des anciens Egyptiens. Cette notion était cependant le seul
guide que l'explorateur dût adopter avec confiance, dans les trois hypothèses
possibles sur la nature de cet antique système graphique.
Si, en effet, l'écriture hiéroglyphique
ne se composait que de signes purement idéographiques, c'est-à-dire de
caractères n'ayant aucun rapport direct avec les sons des mots de la
langue parlée, mais représentant chacun une idée distincte, la connaissance
de la langue égyptienne parlée devenait indispensable, puisque les caractères
emblèmes ou symboles, employés dans l'écriture à la place des mots de la
langue, devaient être disposés dans le même ordre logique et suivre les mêmes
règles de construction que les mots dont ils tenaient la place ; car il
s'agissait de rappeler à l'esprit, en frappant les yeux par la peinture,
les mêmes combinaisons d'idées qu'on réveillait en lui en s'adressant aux
organes du sens de l'ouïe par la parole.
Si, au contraire, et en opposition à la
croyance si générale à cette époque, le système hiéroglyphique employait
exclusivement des caractères de son, ces signes ou lettres composant
l'écriture égyptienne, sculptés avec tant de profusion sur les monuments
publics, ne devaient reproduire d'habitude que le son des mots propres à la
langue parlée des Egyptiens.
En supposant enfin que l'écriture hiéroglyphique
procédât par le mélange simultané de signes d'idées et de signes de sons, la
connaissance de la langue égyptienne antique restait encore l'élément
nécessaire de toute recherche raisonnée ayant pour but l'interprétation des
textes égyptiens.
On ne songea même pas à user de cet
instrument d'exploration d'un effet si certain ; et cependant il n'était
point douteux, même dès les premières années du XVIIe siècle, que les
manuscrits coptes rapportés d'Égypte par les missionnaires ou par les
voyageurs, ne fussent conçus en langue égyptienne écrite avec des caractères
très lisibles, puisque l'alphabet copte, c'est-à-dire l'alphabet adopté par
les Egyptiens devenus chrétiens, n'est que l'alphabet grec accru de quelques
signes.
Par une singularité bien digne de
remarque, ce fut le P. Kircher lui-même qui donna, en 1643, sous le titre de Lingua
aegyptiaca restituta, le texte et la traduction de manuscrits arabes
recueillis en Orient par Pietro della Valle, et contenant des grammaires de
la langue copte ; plus, un vocabulaire copte arabe. Dans cet ouvrage, qui,
malgré ses innombrables imperfections, a beaucoup contribué à répandre
l'étude de la langue copte, Kircher ne put se défaire de son charlatanisme
habituel : incapable de tirer aucune sorte de profit réel, pour ses travaux
relatifs aux hiéroglyphes, du recueil étendu de mots égyptiens qu'il venait
de publier, il osa introduire dans ce lexique, et donner comme coptes,
plusieurs mots dont il avait besoin pour appuyer ses explications
imaginaires.
Ainsi, la connaissance du copte fut
d'abord propagée en Europe dans le seul intérêt de la littérature biblique.
Saumaise, le premier, montra l'avantage que la philologie pouvait retirer des
notions renfermées dans les textes coptes, en expliquant par leur moyen un bon
nombre d'anciens mots égyptiens rappelés dans les écrivains grecs. Plus tard,
les travaux de Wilkins et de Lacroze ayant facilité la connaissance de la
langue copte, l'archéologie, détournée des études égyptiennes par d'inutiles
tentatives, et surtout par les extravagants abus que l'on s'était permis, y
fut enfin ramenée par l'espoir assez fondé, en apparence, d'expliquer le
système religieux de l'ancienne Égypte, et par suite les monuments de son
culte, en réunissant et en classant les passages épars dans les auteurs grecs
et latins, concernant les attributions des divinités égyptiennes, et en
interprétant les noms mêmes de ces divinités à l'aide des vocabulaires
coptes. Ce fut là le véritable but que se proposa Paul-Ernest Jablonsky,
lorsqu'il entreprit l'ouvrage intitulé : Panthéon, Aegyptiorum, sive de
Diis eorurn commentarius.
Toutefois, ce savant, doué d'une vaste
érudition, n'avait point pesé toutes les difficultés de son entreprise. Il
était fort présumable, en effet, que les écrivains grecs et latins, ne
parlant que par occasion de la croyance et du culte des Egyptiens, devaient
seulement donner des notions partielles, locales, et nécessairement
incomplètes, du système religieux de cet ancien peuple ; et quant à
l'interprétation des noms égyptiens de divinités par la langue copte,
pouvait-on se flatter déja que le petit nombre de textes coptes dépouillés
par Jablonsky ou par son maître Wayssière-Lacroze, renfermât tous les mots
radicaux dont se composaient les noms des dieux et des déesses de l'Égypte
? Était-il enfin démontré que les Grecs et les Latins, en transcrivant
ces noms, ne les avaient aucunement altérés ? Tout prouve, au contraire, que
l'analyse étymologique de ces noms de divinités ne saurait être
raisonnablement tentée, qu'à la condition préalable de connaître
l'orthographe égyptienne de ces mêmes noms : or, cette connaissance si
nécessaire pouvait résulter de la lecture seule des inscriptions égyptiennes.
Ces textes restaient encore muets à l'époque où écrivait Jablonski ; aussi
sommes-nous obligés de le dire, les éléments phonétiques formant les noms
propres originaux des divinités égyptiennes dans les textes hiéroglyphiques,
n'ont rien de commun avec l'orthographe que leur attribuait Jablonsky, et ne
se prêtent nullement à ses interprétations.
La dernière moitié du XVIIIe siècle vit
se renouveler quelques tentatives du même genre, et tout aussi infructueuses
pour l'explication raisonnée des monuments figurés de l'Égypte, qui, de temps
à autre, arrivaient en Europe par l'effet des relations commerciales avec le
Levant. La science ne fit aucun pas vers l'intelligence des antiques
écritures égyptiennes. La manie des systèmes a priori franchissant
toutes les limites du possible, détourna encore les bons esprits d'un genre
d'études tout à fait discrédité, soit par l'incertitude de ses moyens, soit
par l'extravagance des résultats qu'on prétendait en déduire. Selon les uns,
toutes les inscriptions égyptiennes étaient relatives à l'astronomie ; elles
De renfermaient, selon d'autres, que des préceptes sur l'ensemble ou les
détails des travaux de la campagne ; chaque divinité égyptienne représentait
une des époques de Tannée agricole ; et dans le temps même où De Guignes et
ses disciples, s'efforçant de prouver la communauté d'origine des peuples de
Au milieu de telles dissidences, les
véritables amis de l'archéologie se contentèrent de réunir autant que
possible, dans les musées publics et dans les cabinets particuliers, les
divers produits de l'art antique des Egyptiens. Lorsqu 'ils en publiaient des
gravures ou des fac-simile, ils se bornaient à les décrire sous le
rapport de leur travail, et si l'on essayait de distinguer entre elles les
différentes divinités (car on le supposait à cette époque, toute figurine
égyptienne représentait un dieu ou une déesse), ce n'était qu'avec
précaution, car la nomenclature des divinités égyptiennes, tirée des
auteurs classiques, était bien promptement épuisée. On peut, sous ce rapport,
citer, comme les promoteurs des études archéologiques égyptiennes, le P.
Montfaucon et le comte de Caylus, quoique ces études n'aient réellement
commencé qu'à la publication du grand ouvrage de Zoëga sur les Obélisques.
Ce savant Danois, profondément
versé dans la connaissance des classiques grecs et possédant bien la
langue copte, l'un des objets spéciaux de ses dernières études, réunit dans
un vaste travail sur les obélisques de Rome les principaux résultats de
ses recherches relatives à l'Égypte ancienne. Conduit par l'examen des
inscriptions égyptiennes sculptées sur ce genre de monuments, à s'occuper de
l'écriture hiéroglyphique, il discuta fort en détail et s'efforça d'accorder
entre elles les notions fournies par les écrivains de l'antiquité sur le
système graphique des Egyptiens. Sans y réussir complètement, il parvint
cependant à réduire la question à ses véritables termes, et, le premier, il
soupçonna vaguement l'existence de l'élément phonétique dans le
système de l'écriture sacrée, mais sans lui donner aucune extension, et le
réduisant à quelques caractères qui procédaient à l'expression des sous par
la même méthode que notre jeu d'écriture appelé rébus.
Jugeant avec sévérité et en pleine
connaissance de cause tous les traités publiés avant lui sur l'interprétation
des inscriptions égyptiennes, Zoëga combattit le préjugé si répandu de
l'emploi mystérieux des hiéroglyphes réservé à un petit nombre d'adeptes et destiné
à l'unique transmission des secrets du sanctuaire. Le savant archéologue
pensait avec raison que cette écriture, celle des monuments publics, connue
et pratiquée par la partie éclairée de la nation égyptienne, fut employée à
la rédaction habituelle des textes relatifs à toutes les matières, objets
spéciaux des sciences sacrées ou profanes. Il croyait toutefois que l'usage
d'une telle écriture, nécessitant une certaine connaissance du dessin, ne
pouvait, sans de grandes difficultés, s'être introduite dans les masses de la
population : cette restriction supposée disparaît aujourd'hui devant
l'existence bien prouvée de deux méthodes tachygraphies employées par les
anciens Egyptiens afin de rendre le tracé des caractères hiéroglyphiques
aussi facile que rapide.
Zoëga désespéra pour son époque de voir
la science de l'archéologie arriver à la connaissance complète du système
hiéroglyphique, et il abandonna cette découverte à la postérité. Ce
découragement provenait de ce qu'il n'avait pu s'éloigner d'une manière
absolue du faux point de vue qui montrait comme caractères purement
symboliques la plupart des signes employés par l'écriture sacrée égyptienne,
ce qui lui sembla devoir élever des difficultés presque insurmontables, car
il supposait par cela même que ces caractères, un peu vagues de leur nature,
pouvaient varier de signification, soit employés isolément, soit mis en
opposition, soit enfin en se combinant plusieurs ensemble.
Toutefois, traçant une esquisse des
travaux à entreprendre pour tenter l'interprétation des textes
hiéroglyphiques, il expliqua le non succès de ses devanciers par la
circonstance que tous, dit-il, avaient commencé par où l'on devait
naturellement finir. On voulait, en effet, attaquer la difficulté de front,
et expliquer de prime abord des inscriptions dont il fallait, avant tout,
bien reconnaître les éléments les plus simples. Joignant l'exemple au
précepte, Zoëga forma avec soin un tableau de tous les signes hiéroglyphiques
existants sur les obélisques ou les monuments égyptiens conservés à Rome et
dans divers cabinets de l'Europe. Cette exploration préparatoire, qu'il n'a
jamais publiée, eût sans doute engagé le savant danois à poursuivre ses
recherches sur les écritures égyptiennes, aidé surtout par sa profonde
connaissance de la langue copte ; mais sa mort, trop tôt pour la science,
vint mettre un terme à ses utiles travaux.
La publication de l'ouvrage de Zoëga sur
les obélisques, précéda immédiatement la conquête de l'Égypte par une
armée française. Cette glorieuse expédition, unique dans son but à la fois
politique et scientifique, car des commissions savantes marchaient avec
l'avant-garde de l'armée, donna une vive impulsion aux recherches
archéologiques relatives à l'état primordial de l'empire des Pharaons. Des
Français, que l'amour de la science avait jetés au milieu des hasards de
cette entreprise militaire, firent connaître à l'Europe, par des dessins
fidèles, l'importance et le nombre prodigieux des monuments antiques de
l'Egypte. Des vues perspectives, des plans et des coupes offrant l'ensemble
et les détails des temples, des palais ou des tombeaux, furent publiés par
les ordres de l'Empereur Napoléon dans le magnifique recueil intitulé :
Description de l'Egypte. Le monde savant conçut pour la première fois une
juste idée de la civilisation égyptienne, comme de l'inépuisable richesse des
documents historiques contenus dans d'innombrables sculptures, instructifs
ornements de ces constructions si imposantes. La science sentit alors mieux
que jamais le défaut total de notions positives sur le système graphique des
Egyptiens ; toutefois, l'abondance des textes hiéroglyphiques et des
inscriptions monumentales recueillies en Egypte par le zèle de
Un officier du génie, attaché à la
division de notre armée d'Egypte qui occupait la ville de Rosette, M.
Bouchard, trouva en août 1799, dans des fouilles exécutées à l'ancien fort,
une pierre de granit noir, de l'orme rectangulaire, dont la face bien polie
offrait trois inscriptions en trois caractères différents. L'inscription
supérieure, détruite ou fracturée en grande partie, est en écriture hiéroglyphique
; le texte intermédiaire appartient à une écriture égyptienne
cursive, et une inscription en langue et en caractères
grecs occupe la troisième et dernière division de la pierre.
La "pierre
de Rosette". (Elle fait aujourd'hui parti des collections du British
Museum à Londres)
La traduction de ce dernier texte,
contenant un décret du corps sacerdotal de l'Egypte, réuni à Memphis pour
décerner de grands honneurs au roi Ptolémée Épiphane, donnait la pleine
certitude que les deux inscriptions égyptiennes supérieures contenaient
l'expression fidèle du même décret en langue égyptienne et en deux écritures
égyptiennes distinctes, l'écriture sacrée ou hiéroglyphique, et
l'écriture vulgaire ou démotique.
On dut, avec toute raison, attacher de
grandes espérances à la découverte d'un pareil monument. La possession de
textes égyptiens, accompagnés de leur traduction en une langue connue, venait
établir enfin des points de départ et de comparaison aussi nombreux
qu'incontestables, pour conduire avec sûreté à la connaissance du système
graphique égyptien par l'analyse combinée des deux inscriptions égyptiennes
au moyen de l'inscription grecque. Dès ce moment, il fallut abandonner la
voie des hypothèses pour se circonscrire dans la recherche des faits ; et les
études égyptiennes marchèrent, quoique avec lenteur, vers des résultats
positifs.
Dès 1802, un savant illustre, auquel
nous sommes redevables en France de l'état florissant de la littérature
orientale que ses importants travaux ont si éminemment contribué à propager
dans le reste de l'Europe, M. le baron Silvestre de Sacy, ayant reçu un
fac-simile du monument de Rosette, examina le texte démotique en le comparant
avec le texte grec, et publia le résumé de ses recherches dans une Lettre
adressée à M. le comte Chaptal, alors ministre de l'intérieur.
Cet écrit renferme les premières bases
du déchiffrement du texte intermédiaire, par la détermination des groupes de
caractères répondant aux noms propres Ptolémée, Arsinoë, Alexandre et
Alexandrie, mentionnés en différentes occasions dans le texte grec.
Bientôt après, M. Ackerblad,
orientaliste suédois, que distinguaient une érudition très variée et une
connaissance approfondie de la langue copte, suivant la même route que le
savant français, s'engagea à soli exemple dans la comparaison des deux textes
: il publia une analyse des noms propres grecs cités dans l'inscription en
caractères démotiques, et déduisit en même temps de cette analyse un
court alphabet égyptien démotique ou populaire.
Ce premier succès sembla confirmer
d'abord les espérances qu'avait fait naître le monument de Rosette. Mais
Ackerblad, si heureux dans l'analyse des noms propres grecs, n'obtint aucun
résultat en cherchant à appliquer à la lecture des autres parties de
l'inscription démotique, le recueil de signes dont il venait de constater la
valeur dans l'expression écrite de ces noms propres grecs.
N'ayant point supposé, d'une part, que
les Egyptiens avaient pu écrire les mots de leur langue en supprimant en
grande partie les voyelles médiales, comme cela s'est pratiqué de tout temps
chez les Hébreux et les Arabes ; et d'un autre côté, ne soupçonnant
point que beaucoup de signes employés dans ce texte pouvaient appartenir à la
classe des caractères symboliques, le savant suédois, rebuté par de vaines
tentatives, cessa de s'occuper du monument de Rosette. Il resta prouvé
toutefois, par les travaux de MM. de Sacy et Ackerbald, que l'écriture
vulgaire des anciens Égyptiens exprimait les noms propres étrangers par le
moyen de signes véritablement alphabétiques.
Quant au texte hiéroglyphique de la
stèle de Rosette, quoiqu'il fat bien naturel de l'étudier d'abord, puisqu'il
se compose de signes images ou de caractères figurés, de formes très
distinctes, et de le comparer avec le texte grec pour obtenir quelques
notions exactes sur l'essence des signes sacrés qui forment le plus grand
nombre des inscriptions égyptiennes connues, il ne fat soumis que fort tard à
des recherches consciencieuses et jugées telles par la saine critique. On fut
probablement détourné de s'en occuper par le mauvais état de cette première
portion du monument, des fractures ayant fait disparaître une grande partie
du texte hiéroglyphique. Son intégrité eût épargné, en effet, aux
investigateurs, de longs tâtonnements et d'innombrables incertitudes.
Cette lacune fut loin d'être soupçonnée
par un anonyme qui, en 1804, publia à Dresde une prétendue Analyse
de l'inscription hiéroglyphique du monument trouvé à Rosette. L'auteur
de cet ouvrage, renouvelant le mystique symbolisme du P. Kircher, crut
reconnaître dans les quatorze lignes encore existantes de l'inscription
hiéroglyphique (formant à peine la moitié de l'inscription primitive),
l'expression entière et suivie des idées exprimées dans les cinquante-quatre
lignes du texte grec. Ce travail ne peut soutenir le plus léger examen ; il
vient néanmoins d'être réimprimé par son auteur, à Florence, comme une sorte
de protestation formelle contre la direction nouvellement donnée aux
études sur les hiéroglyphes.
Les auteurs des nombreux mémoires
formant le texte de
En vain les voyageurs anglais, excités
plus peut-être par un esprit de rivalité nationale que par l'intérêt bien
entendu de la science, ont voulu rabaisser l'importance des travaux exécutés
par
Ce savant apporta dans l'examen
comparatif des trois textes du monument de Rosette, un esprit de méthode
éminemment exercé aux plus hautes spéculations des sciences physiques et
mathématiques. Il reconnut par une comparaison toute matérielle, dans les
portions encore existantes de l'inscription démotique et de l'inscription
hiéroglyphique, les groupes de caractères répondant aux mots employés dans
l'inscription grecque. Ce travail, résultat d'un rapprochement plein de
sagacité, établit enfin quelques notions certaines sur les procédés propres
aux diverses branches du système graphique égyptien et sur leurs liaisons
respectives ; il fournit des preuves matérielles à l'assertion des anciens
relativement à l'emploi de caractères figuratifs et symboliques dans
l'écriture hiéroglyphique ; mais la nature intime de cette écriture, ses
rapports avec la langue parlée, le nombre, l'essence et les combinaisons de
ses éléments fondamentaux, restèrent encore incertains dans le vague des
hypothèses.
Le docteur Young, comme les auteurs de
Quant à la nature des textes hiératiques
et démotiques, le savant anglais embrassa tour à tour deux systèmes
entièrement opposés. En 1816, il croyait, avec
La question relative à la nature
élémentaire du 'système hiéroglyphique restait donc tout entière : les écritures
égyptiennes procédaient elles idéographiquement, ou bien exprimaient-elles
les idées en notant le son même des mots ?
Mes travaux ont démontré que la vérité
se trouvait précisément entre ces deux hypothèses extrêmes : c'est-à-dire que
le système graphique égyptien tout entier employa simultanément des signes
d'idées et des signes de sons ; que les caractères phonétiques, de
même nature que les lettres de notre alphabet, loin de se borner à la
seule expression des noms propres étrangers, formaient au contraire la partie
la plus considérable des textes égyptiens hiéroglyphiques, hiératiques et
démotiques, et y représentaient, en se combinant entre eux, les sons et les
articulations des mots propres à la langue égyptienne parlée.
Ce point de fait fondamental, démontré
et développé pour la première fois en 1824 dans mon ouvrage intitulé Précis
du système hiéroglyphique [Réimprimé en 1828], étant
appliqué à une foule de monuments originaux, a reçu les confirmations les
plus complètes et les moins attendues. Seize mois entiers passés au
milieu des ruines de
Son application seule a pu me conduire à
la lecture proprement dite des portions phonétiques, formant en
réalité les trois quarts au moins de chaque texte hiéroglyphique : de là est
résultée la pleine conviction que la langue égyptienne antique ne
différait en rien d'essentiel de la langue vulgairement appelée copte ou
cophtes ; que les mots égyptiens écrits en caractères hiéroglyphiques sur
les monuments les plus antiques de Thèbes, et en caractères grecs dans les
livres coptes, ont une valeur identique et ne diffèrent en général que par
l'absence de certaines voyelles médiales, omises, selon la méthode orientale,
dans l'orthographe primitive. Les caractères idéographiques ou symboliques,
entremêlés aux caractères de son, devinrent plus distincts ; je pus saisir
les lois de leurs combinaisons, soit entre eux, soit avec des signes
phonétiques, et j'arrivai successivement à la connaissance de toutes les
formes et notations grammaticales exprimées dans les textes égyptiens, soit hiéroglyphiques,
soit hiératiques.
Ainsi fut levé peu à peu le voile qui
couvrait la nature intime du système graphique égyptien ; les
matériaux immenses que j'ai recueillis pendant mon séjour en Égypte,
et en Nubie entre les deux cataractes, m'ait donné le moyen de développer ces
résultats. Un devoir m'était encore imposé, celui de les faire connaître dans
toute leur étendue au monde savant, de démontrer leur importance par celle
des faits nouveaux qui naissent de leur application, et d'ouvrir une carrière
toute nouvelle au zèle des esprits investigateurs qui se consacrent à l'avancement
des études historiques. Les bontés du roi, en m'appelant à occuper une chaire
d'archéologie, me donnent l'occasion d'accomplir ce devoir et de répondre,
autant qu'il sera en moi, à ces nouveaux besoins des sciences, qui, presque
toutes, doivent s'enrichir de précieux documents par une étude régulière et
approfondie des antiquités égyptiennes.
C'est, en effet, en nous initiant de
plus en plus dans l'intelligence des textes hiéroglyphiques et hiératiques,
lesquels fixent la date et la destination des monuments figurés ; c'est par
l'analyse raisonnée de la langue des Pharaons, que l'ethnographie décidera si
la vieille population égyptienne fut d'origine asiatique ou bien si elle
descendit, avec le fleuve divinisé, des plateaux de l'Afrique centrale. On
décidera en même temps si les Egyptiens n'appartenaient point à une race
distincte ; car, il faut le déclarer ici, contre l'opinion commune, les Coptes
de l'Égypte moderne, regardés comme les derniers rejetons des anciens
Egyptiens, n'ont offert à mes yeux ni la couleur ni aucun des traits
caractéristiques, dans les linéaments du visage ou dans les formes du corps,
qui pût constater une aussi noble descendance. La connaissance réelle de
l'Égypte ancienne importe également aux études bibliques, et la critique
sacrée doit en retirer, de nombreux éclaircissements. La longue captivité des
Hébreux en Égypte, l'éducation tout égyptienne de leur premier
législateur, durent nécessairement s'empreindre dans l'organisation politique
et religieuse des enfants d'Israël. Les tribus échappées par la ruse à
l'oppression d'un peuple bien plus avancé qu'elles-mêmes dans la
civilisation, ne purent, en rentrant dans le désert, se dépouiller en
même temps des idées d'ordre, des habitudes civiles, ni oublier les
pratiques des arts acquises pendant un séjour prolongé sur les rives du Nil,
au milieu d'une nation agricole. Le chef hébreu renouvelant la plus ancienne
forme du gouvernement égyptien, la théocratie, qui se prêtait d'une
manière plus efficace à l'accomplissement de ses vues, quitta la vallée de
l'Égypte, non pour ramener les tribus à leur état primitif, à la vie nomade
et pastorale de leurs pères, mais avec le dessein formé de les fixer sur un
territoire limité, acquis par la conquête, et de les constituer, comme les Égyptiens,
en une nation sédentaire, établie dans des villes, cultivant le sol et
s'adonnant à tous les arts industriels. Moïse appliqua, autant que les
circonstances locales devaient le permettre, les institutions civiles des
Egyptiens à l'organisation de la société hébraïque ; il proclama des dogmes
religieux essentiellement distincts de ceux de l'Égypte - mais dans les
formes extérieures du culte, et surtout dans le matériel dès cérémonies, il
dut imiter et il imita en effet les pratiques égyptiennes. L'étude des
monuments égyptiens originaux, soit antérieurs, soit postérieurs à l'époque
de Moïse, donnera donc une intelligence plus complète des textes originaux de
La renommée et la richesse du sol de
l'Égypte, aussi bien que son importance politique dès les temps les plus
reculés, ont lié l'histoire de cette contrée avec celle de tous les grands
peuples de l'Afrique et de l'Asie anciennes. Mais les annales de la plupart
de ces nations ayant péri sans retour, il faut interroger les monuments écrits
de l'Égypte ils nous rediront les noms des peuplades, aujourd'hui oubliées,
jadis soumises à la puissance égyptienne par les Pharaons pénétrant dans
l'intérieur de l'Afrique, et appelant les barbares à la civilisation par le
contact ou par l'exemple. Les bas-reliefs d'Isamboul et de Beit-Oually, en
Nubie, nous montreront les traits physiques de ces hommes de race nègre ou de
race caffre, l'époque de leur soumission, leur costume, leur manière de
combattre, les détails même de leur vie domestique, et les rapports directs
et variés de la primitive Égypte avec l'Éthiopie, contrée fameuse où nous
reconnaîtrons peut-être le berceau de la population égyptienne.
Par l'étude des tableaux historiques
sculptés dans les vastes palais de Thèbes, l'aînée des villes royales, nous
assisterons en quelque sorte aux expéditions militaires exécutées en Asie
dans des temps dont les annales des hommes n'ont conservé qu'un souvenir
confus : les noms des rois égyptiens auteurs de ces grandes entreprises
Guerrières, ramenés à la réalité par le témoignage irrécusable des monuments
contemporains, rentreront enfin dans le domaine positif de l'histoire, et
cette science reculant ses limites, portera des lumières inespérées sur des
époques abandonnées jusqu'ici dans le vague des périodes fabuleuses, à cause
du défaut total de documents, ou de l'incertitude extrême des traditions.
Ces bas-reliefs, immenses compositions,
si remarquables par le grandiose de l'ensemble et l'incroyable variété des
détails, si importants d'ailleurs par les légendes explicatives qui leur
donnent un caractère tout à fait historique, offriront en même temps à notre
curiosité les noms des peuples asiatiques rivaux de l'Égypte, qui lui
disputaient la suprématie dans cet ancien monde politique encore inconnu, et
dont l'histoire écrite abandonne à regret l'époque tout entière aux fictions
des mythes héroïques. Ils fourniront les notions les plus précises sur les
races d'hommes auxquelles appartenaient ces nations si diversifiées par les
traits de la physionomie, par le costume, par la forme des armes et par les
moyens d'attaque ou de défense. On estimera le degré d'avancement de chacun
de ces peuples dans la civilisation et les commodités de la vie, d'après les
tableaux sculptés ou peints, représentant soit des ambassades africaines ou
asiatiques offrant de nombreux présents au monarque égyptien leur maître ou
leur allié, soit le Pharaon lui-même qui, triomphant, dépose aux pieds des
dieux de l'Égypte les productions naturelles des pays conquis, les produits
de l'industrie et les richesses des vaincus, enfin les vases d'or et
d'argent, admirables de forme et l'élégance, exécutés avec ces métaux
précieux enlevés à l'ennemi.
On s'instruira bien mieux encore en
étudiant les longues inscriptions sculptées sur les murailles du palais des
rois, et contenant le détail circonstancié des expéditions militaires, le
poids des pierreries et des divers métaux imposés sur l'ennemi, l'énumération
des animaux domestiques, celle des denrées et des objets d'art que les pays
conquis devaient régulièrement livrer au vainqueur. Ces inscriptions
monumentales furent expliquées à Germanicus visitant les ruines de Thèbes,
par les plus âgés d'entre les prêtres du pays ; elles existent encore en
grande partie, et Tacite, racontant le séjour du fils adoptif de Tibère au
milieu des débris de la vieille capitale des Pharaons, a donné du contenu de
ces textes historiques une analyse surprenante par son exactitude :
l'historien romain semble avoir écrit en ayant sous les yeux une traduction
littérale de ces antiques textes ; je les ai retrouvés dans les décombres du
palais de Karnak.
Sur le sol de l'Égypte, le nombre
des monuments de tout genre échappés aux dévastations des siècles et des
religions ennemies, est encore tel, qu'on peut y recueillir en abondance des
témoignages directs de l'état graduel de la civilisation du peuple
industrieux qui défricha la vallée inférieure du Nil à une époque
indéfiniment reculée : car, il faut le dire, les monuments égyptiens des
temps les plus antiques ne montrent aucune trace de l'enfance de l'art ; tous
le manifestent au contraire à un âge adulte et plein d'expérience. Mais si
l'Egypte, dans des périodes fort antérieures aux temps historiques de notre
Occident, vit disparaître ses premiers essais de sculpture, de peinture, ou
d'architecture, et les remplaça par des produits de ces arts déjà développés,
régularisés, et empreints d'un caractère de simplicité Grandiose qu'on ne
saurait trop admirer ; si l'Égypte, disons-nous, ne conserva aucune
trace de ses propres origines, c'est toutefois dans cette contrée que nous
devons chercher les origines de la civilisation comme des arts de
L'étude des monuments et des textes
égyptiens, en nous présentant sous son véritable jour l'état politique et
religieux du vieil empire des Pharaons, en constatait d'autre part l'état
avancé des arts de l'Égypte bien antérieurement aux premières productions de
ces mêmes arts en Europe, nous conduira à la source des premières
institutions politiques de
On reconnaîtra dans les portiques de
Beni-Hassan, et dans les galeries de Karnac, exécutées par les Égyptiens bien
avant l'époque du siége de Troie, l'origine évidente de l'architecture
dorique des Grecs ; en examinant sans prévention les bas-reliefs historiques
de Nubie et de Thèbes, on se convaincra que l'art des Grecs eut des
sculptures égyptiennes pour premiers modèles ; que d'abord il les imita
servilement, et se pénétra de la sage simplicité de leur style ; qu'enrichi
de ces moyens, l'art grec, adoptant un principe qui ne fut jamais celui de l'art
égyptien, la reproduction obligée des belles formes de la nature, s'éloigna
de plus en plus du faire primitif, et s'éleva de lui-même à cette sublimité
que n'atteindront peut-être jamais les efforts de nos artistes modernes.
L'interprétation des monuments de
l'Egypte mettra encore mieux en évidence l'origine égyptienne des sciences et
des principales doctrines philosophiques de
Mais je dois me borner à ces indications
partielles sur la série des faits nouveaux dont les études égyptiennes
promettent d'enrichir les sciences historiques. On l'a pressenti sans doute ;
d'aussi importants résultats ne sauraient acquérir leur poids et toute leur
certitude que de l'intelligence réelle des innombrables inscriptions
sculptées ou peintes sur les monuments égyptiens, et l'étude de la langue
parlée doit précéder celle des textes où elle est employée. Ce sera donc par
l'exposé approfondi des principes de
source ankhonline.com
©2005 Shenoc. Tous droits réservés.